samedi 17 octobre 2009

Curiosi e bizzarri

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)


Umberto Eco consacre sa chronique dans l'Espresso

à notre catalogue,
Livres curieux et bizarres !

VERSION FRANCAISE CI-DESSOUS

(Un grand merci à Désirée Olmi pour sa traduction)


Texte original en ligne sur : le site de L'Espresso

Traduit

en espagnol : cliquer ici

en portugais : cliquer ici

en roumain : cliquer ici

Résumé en allemand dans la revue de presse du magazine culturel Perlentaucher

et en anglais :

"Every now and then Umberto Eco likes to immerse himself in exotic antiquarian catalogues. Recently he stumbled across the "Curious and Bizarre Books" of the French Libraires Associes and was keen to share the most choice tidbits with his readers: "In the selection of works which were certainly written in earnest, I found a treatise on the wail of pigeon, by Cardinal Bellarmine (the one from Galileo) about the location of the earthly paradise of Huet (which he placed near Basra, in startling contrast to the tradition that has it in the Far East, but which would explain Bush's invasion of Iraq), and Pierre Sindico's book on the Immobility of the Earth (1878). I also discovered that Ricciotto Canudo, whom I knew only in the role of serious film critic (and as the inventor of the term 'the seventh art'), was also a war hero, who was interested in the musical metaphysics of culture. There is also a wonderful second section about early historical languages – from the language of Adam (Druid according to John Cleland 1776), Basque as the language of Cam – according to Pedro Nada in 1885, and of course artificial languages like Bollack's Lange Bleue from 1900, Jallais's 'Sillabayre' from 1923, some instructions for building a reading machine as well as the Codex Napleonicus in verse by an anonymous writer in 1811."


A voir aussi, les idées d'Umberto Eco sur le livre et son avenir : l'article de Télérama

Et Vertige de la liste, le programme d'Eco, sur le site du musée du Louvre


Curieux et bizarres


Du traité du gémissement de la colombe du cardinal Bellarmin, à l’œuvre sur l’immobilité de la terre de Pierre Sindico, à "La vie sexuelle de Robinson Crusoé" de Michel Gall


Par Umberto ECO


Un passionné de livres anciens tel que Mario Praz, décrivait en 1931 le grand plaisir que pouvait éprouver un bibliophile à la lecture de catalogues de livres anciens, au même titre qu’à la lecture des romans policiers. "Je vous certifie - disait-il –, qu'aucune autre lecture n'a sucité une réaction si rapide et si émue, que celle d’un catalogue intéressant ". Même s’il laissait entendre un peu plus tard qu’il est possible de s’adonner à une lecture aussi rapide et aussi émue de catalogues "inintéressants".

Or, s’il existe des catalogues peu intéressants, ne contenant que les éditions mineures de Dante, pandectes ou œuvres de théologiens de la contre-réforme, le passionné trouvera à son goût ceux que l’on appelle dans le milieu du livre ancien 'Varia et Curiosa', qui énumèrent les œuvres de fous littéraires, de visionnaires, ou de génies tombés dans les oubliettes, disparus, mais à raison, de toutes les bibliographies. J’ai moi même commenté un catalogue du même genre il y a quelques années dans ma chronique, mais il en sort d’autres sans cesse, spécialement en France, et je ne résiste pas à la tentation de feuilleter en compagnie de mes aimables lecteurs le récent Livres curieux et bizarres des Libraires Associés (ce qui me permettra de m’évader, fut-ce momentanément, de la morosité de l’actualité).


Parmi les œuvres les plus sérieuses je trouve un traité sur le gémissement de la colombe par le Cardinal Bellarmin (oui, le cardinal de Galilée) ; un autre sur la localisation du paradis terrestre de Huet (qui le place à Bassora, contrairement à toute une tradition qui le voulait à l’Extrême Orient, et l’on comprend ainsi quelles étaient les intentions de Bush quand il a envahi l'Iraq) ; l'œuvre de Pierre Sindico sur l'immobilité de la terre (1878). Je découvre que Ricciotto Canudo, que je ne connaissais que comme théoricien de cinéma (et inventeur de l'expression 'septième art') a été un héros de la guerre et s’est intéressé à la Métaphysique Musicale des Civilisations.

Je trouve aussi une belle section concernant les langues originelles, comme la langue parlée par Adam (la langue des druides selon John Cleland, 1776) ; le basque attribué à Cham par Pedro Nada, 1885 ; pour ne pas citer les langages artificiels comme la 'Langue Bleue' de Bollak, 1900 ; le 'Sillabayre' de Jallais, en 1923, avec le mode d’emploi pour le fonctionnement d’une machine à lire (sic) ; le Code Napoléon mis en vers par un anonyme en 1811 ; et enfin, d’un certain Radiguel : 'La civilisation primitive retrouvée avec toutes ses archives dans le Paradis Terrestre au pays d'Eden ou de Bretagne'.


Si je voulais changer de thème, je me laisserais bien tenter par 'La vie sexuelle de Robinson Crusoé' de Michel Gall (1977) où l’on démontre que l’illustre naufragé avait trouvé avec grand plaisir Vendredi plus coopératif que les chèvres (soit dit en passant, la première édition avait fini condamnée par la justice…). Le catalogue annonce comme une excitante anthologie du sadomasochisme (agrémentée de gravures ne laissant guère de place à l’imagination) le 'De sanctorum martyrum cruciatibus' d’Antonius Gallonius (1602), dont le propos est de documenter pieusement les tourments subis par les martyrs. Moins fidèle aux chroniques de la sainteté, le récent 'Sex in smurfenland' (1980) n’est rien d’autre qu’une version pornographique des Schtroumpfs - le catalogue prenant soin de nous annoncer qu'il ne faut pas se soucier d’un texte écrit en hollandais, les images, elles, ne portant pas à confusion ! Un certain Dr Brennus dans 'L'acte bref' (1907) s’épanche sur l’incontinence spasmodique. Je ne connaissais du Père Sinistrari d'Ameno (inquisiteur du XVIIème) que le 'De la démonialité', considéré comme un faux par de nombreux bibliophiles (inspiré par le célèbre bibliophile Paul Lacroix et écrit en 1875 par Isidore Liseux), publié dans l’intention de titiller la curiosité morbide des lecteurs de l’époque à propos des réunions sexuelles entre femmes, maîtresses et esclaves. A présent je découvre que Sinistrari est aussi l’auteur d’un 'De sodomia tractatus' (très apprécié aujourd’hui encore sur les sites gay d’Internet) où le plus croustillant serait sa théorie de la sodomie lesbienne par le clitoris (organe dont ce bon franciscain ignorait tout, convaincu qu'il l’était que celui-ci n’était présent que sur une minorité de femmes, qu’il pouvait pousser à l’adolescence et éventuellement servir à la tribade pour déposer sa semence dans un autre corps féminin).


Pour conclure, je tombe sur la traduction française ('La domination du moine') de ce qui devrait être 'Clélia', roman de Giuseppe Garibaldi, écrit (comme il le raconte lui-même dans sa préface) afin de rendre hommage aux nombreux soldats morts sur les champs de bataille, dénoncer aux yeux de la jeunesse italienne "les turpitudes et trahisons des gouvernements et des prêtres" et "de survivre aussi avec mon propre argent .Voilà ce qui me poussa à faire l’homme de lettres". Enfin, pour qui voudrait désacraliser l’histoire de notre patrie, 'Clélia' mérite d’être lu, certes, mais au même titre que 'Claudia Particella, la maîtresse du cardinal', par Benito Mussolini.


Copyright Umberto Eco / L'Espresso, octobre 2009

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