jeudi 28 juin 2012

Messes noires, de profundis



 


Nous avons publié il y a quelques semaines un catalogue de livres rares consacré à Jacques d'Adelswärd-Fersen ("L'exilé de Capri") qui a remporté un grand succès : il a été consulté par plus de 4000 personnes (4330 lectures en 30 jours), nous a valu des messages élogieux et sympathiques de spécialistes, et de nombreuses demandes d'achat d'une éventuelle version papier (qui n'existe pas et n'existera pas). Cela répond parfaitement à notre vocation, celle de passeurs, qui essaient de transmettre des fragments de culture parfois oubliés, de faire découvrir ou redécouvrir des livres ou des auteurs qui nous paraissent valoir le détour, etc. 



Ce catalogue était assez novateur, puisqu'il ne se contentait pas de proposer une liste de livre à vendre, mais offrait également des informations nouvelles, reproduisait des documents peu connus ou inédits, etc. Mais nous n'avons reçu qu'une poignée de commandes, émanant de clients que nous connaissions déjà et de quelques confrères. Les institutions n'ont - comme d'habitude - pas réagi, alors que certains de ces ouvrages, mythiques, ne se trouvent que dans de très rares bibliothèques à travers le monde, et sont absents de toutes les bibliothèques publiques françaises, Bibliothèque nationale de France comprise... 



Photo © Libraires associés


Ce n'est pas une question de prix : sur 4000 personnes, pas une n'a souhaité commander les livres de référence à 10 et 25 €... Pour les livres rares nos prix étaient en moyenne équivalents à ceux qu'atteignent ces ouvrages quand il arrive qu'ils soient proposés sur le Net ou en vente aux enchères, sans être forcément accompagnés du service et des garanties que peut offrir un libraire spécialisé. 

En fait nous assistons tout simplement à une déconnection grandissante entre l'intérêt virtuel et l'attention concrète, et il est de moins en moins viable - dans notre domaine comme dans d'autres - de produire un travail de fond et de qualité. Un tel catalogue demande en effet un travail conséquent, sur plusieurs années. Rassembler de tels livres, mener l'enquête sur leur histoire, essayer de trouver des informations sur des auteurs oubliés, c'est autre chose que faire des fiches à la chaine pour Abebooks ou un blog à succès à partir d'images pillées à droite et à gauche. Or nous ne vivons pas de la pub, ni de subventions, mais uniquement de nos ventes. 

Nous avons donc décidé, en accord avec notre partenaire dans ce projet, la librairie Elysium Books, de retirer ce catalogue d'Internet. 

Cela ne nous empêchera de continuer à publier des études qui ne rapportent rien (voir par exemple nos publications sur Issuu), mais il n'y a pas de raison pour que nous donnions des informations (valeur des livres, intérêt de telle ou telle édition, etc.) en pure perte. D'autant que ces informations, au lieu d'inciter à la découverte, ne servent en fin de compte qu'à nourrir les travaux de chercheurs adeptes du copié-collé et les fiches de margoulins sur Ebay... 

Merci quand même à ceux qui ont eu la curiosité de parcourir ce catalogue, qui l'ont relayé, ou nous ont adressé de chaleureux messages !


Photo © Elysium Books


dimanche 17 juin 2012

Bibliophilie nouvelle


Le 15 juin 2012 devrait rester une date dans l'histoire de la bibliophilie. Sotheby's New-York organisait une vente aux enchères de beaux livres, assez classique.

La vente ne semble pas avoir très bien marché, et de nombreux lots ont été ravalés, dont un dessin original de Tenniel pour l'édition originale d'Alice au pays des merveilles. Des autographes ont atteint des prix élevés (130 000 $ une importante lettre de Wilde, 194 000 un manuscrit de Scott Fitzgerald), quelques livres aussi (53 000 $ pour l'édition originale de The Origine of Species de Darwin, 212 000 pour un rarissime livre de voyage du XVIe s., 59 000 pour un titre de Wharol...).
Le clou de la vente, adjugé 357 000 $, était le lot 57. Il ne s'agissait pas d'une oeuvre sur papier mais... d'un ordinateur, un exemplaire du Apple I Computer, de 1975. La maison de vente avait sans doute été encouragée par le record de prix observé l'année dernière sur le contrat créant Apple (voir : Bonne nouvelle). 




La chose n'a rien de surprenant ou de choquant en soi : la côte des livres ou objets anciens n'est que le reflet des intérêts des collectionneurs à un moment donné, et Apple parle plus aux nouveaux amateurs fortunés que Montaigne ou Platon, tout comme Hergé les excite plus que Philippe de Champaigne. Mais un cap symbolique a ici été franchi : le record de prix dans une vente de livres a été atteint par une machine informatique... Dans quelques années se développera sans doute un marché de la tablette de lecture de collection... Chacun ses goûts !